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Houria Bouteldja et le communautarisme de combat : la dérive sous-estimée

Vous avez peut-être suivi avec inquiétude la polémique qui a éclaté à la Fête de l’Humanité en septembre 2024. Houria Bouteldja, fondatrice du Parti des Indigènes de la République, y était invitée pour débattre de la lutte contre l’antisémitisme. Une situation aussi aberrante qu’inquiétante, révélatrice d’une complaisance dangereuse vis-à-vis d’un discours communautariste radical qui gangrène progressivement le paysage politique français. Cette figure controversée incarne une dérive idéologique majeure dont nous sous-estimons collectivement les dangers. Ses propos ouvertement racistes et antisémites, loin d’être marginalisés, bénéficient d’une audience croissante dans certains milieux universitaires et médiatiques. Il devient urgent d’examiner comment cette rhétorique divise notre société et menace la cohésion républicaine.

Qui est Houria Bouteldja et quelle est son influence politique

Née en Algérie et naturalisée française en 1998, Houria Bouteldja a construit sa notoriété comme cofondatrice du Mouvement des Indigènes de la République en 2005, devenu par la suite le Parti des Indigènes de la République. Elle en a été la porte-parole jusqu’à son retrait en octobre 2020, non sans laisser ce qu’elle qualifie elle-même de « plus grand héritage politique en France depuis les années 1980 ». Cette affirmation, aussi prétentieuse que révélatrice, témoigne de l’ambition démesurée de son projet politique.

Employée de l’Institut du monde arabe, Bouteldja a développé une stratégie médiatique redoutablement efficace. Invitée régulière de l’émission « Ce soir ou jamais » animée par Frédéric Taddeï sur France 2, elle a bénéficié d’une visibilité considérable dans les médias grand public. Son influence s’étend même au-delà des frontières françaises, comme en témoigne sa conférence donnée le 6 avril 2023 à l’université de Yale aux États-Unis, dans le cadre d’une série intitulée « Décoloniser l’Europe ». Cette intervention, programmée lors de la fête juive de Pessah, a suscité l’indignation de nombreux étudiants et membres de la communauté universitaire qui dénonçaient ses positions antisémites et homophobes.

Le concept de « race sociale » et la théorie décoloniale radicale

Le projet idéologique du PIR repose sur ce que Bouteldja nomme la « lutte des races sociales », un concept qui substitue la lutte des classes marxiste traditionnelle par une confrontation raciale. Lors du dixième anniversaire de son organisation, en présence d’Angela Davis, elle a explicitement défendu cette vision en affirmant que « la race est une construction sociale » qui « structure notre quotidien ». Cette approche, loin d’être un simple exercice théorique, se traduit par un vocabulaire délibérément provocateur et clivant.

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L’utilisation du terme « souchiens » pour désigner les Blancs français illustre parfaitement cette stratégie de renversement des stigmatisations. Relaxée en 2012 des accusations de racisme anti-blancs portées contre elle pour l’usage de ce néologisme, Bouteldja assume pleinement cette rhétorique séparatiste. Dans l’émission « Ce soir ou jamais », elle déclare sans ambages qu’il faut « éduquer les souchiens, les Blancs » sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. L’historien Gérard Noiriel a formulé une critique pertinente de cette approche, estimant qu’en se définissant avec le vocabulaire de ceux qui les stigmatisent, les porte-parole de ce type d’associations pérennisent le système de représentations qui les exclut. Cette analyse met en lumière le caractère contre-productif d’une rhétorique qui, sous couvert d’antiracisme, alimente la fragmentation sociale.

Les déclarations antisémites qui font polémique

Les propos de Bouteldja concernant les Juifs constituent sans doute l’aspect le plus toxique de son discours. En mars 2015, elle affirme que « les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française », une déclaration que Jean-Luc Mélenchon lui-même qualifiera d’antisémite avérée dans une lettre adressée à la LICRA en novembre 2017. Cette prise de position n’est pas isolée. Une photographie la montre aux côtés d’une pancarte proclamant « Les sionistes au goulag », image qu’elle n’a jamais désavouée.

L’affaire Miss Provence illustre de manière éclatante la dangerosité de son idéologie. En décembre 2020, April Benayoun, candidate ayant un père israélien, subit un déferlement d’insultes antisémites sur les réseaux sociaux. Plutôt que de condamner cette violence, Bouteldja publie sur le blog de Mediapart un article défendant ces attaques en affirmant qu’« on ne peut pas être Israélien innocemment ». Le texte, jugé tellement problématique, sera finalement dépublié par Mediapart, pourtant peu suspect de complaisance envers les positions conservatrices.

Les principales organisations antiracistes ont fermement dénoncé ces dérives. Nous recensons notamment les accusations suivantes formulées par les institutions de défense des droits:

  • Le CRIF a qualifié Bouteldja de « démon antisémite » et exigé le retrait de son livre « Les Blancs, les Juifs et nous » de la boutique de l’Institut du monde arabe
  • La LICRA a examiné l’opportunité de saisir la justice concernant ses propos sur Miss Provence, déclarant qu' »on ne peut pas être antisémite innocemment »
  • L’avocat Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats Sans Frontières, a annoncé sa volonté de poursuivre Bouteldja en justice
  • Le président de la LICRA Mario Stasi a interpellé Jean-Luc Mélenchon sur le relativisme dangereux de certains élus de La France insoumise face aux propos de Bouteldja
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Homophobie et antiféminisme : les autres dérives idéologiques

La vision de Bouteldja sur l’homosexualité révèle une homophobie assumée sous couvert d’analyse sociologique. En 2012, elle déclare sans détour que « le mode de vie homosexuel n’existe pas dans les quartiers populaires », ajoutant que « le mariage pour tous ne concerne que les homos blancs ». Cette théorie de l' »impérialisme gay » considère l’homosexualité comme une construction occidentale imposée aux populations issues de l’immigration. Elle va jusqu’à comparer le choix de l’homosexualité à un luxe, affirmant que « c’est comme si on demandait à un pauvre de manger du caviar ».

Son approche du féminisme n’est pas moins problématique. Créatrice du mouvement « Les Blédardes », elle prône un « féminisme paradoxal de solidarité avec les hommes » de sa communauté plutôt qu’une solidarité avec l’ensemble des femmes. Cette position, qui privilégie l’appartenance communautaire sur l’émancipation féminine, a été vertement critiquée. Charlie Hebdo et Le Point ont relevé dans son ouvrage « Beaufs et barbares » une proximité troublante avec les thèses masculinistes d’Éric Zemmour et d’Alain Soral, notamment lorsqu’elle propose de « puiser dans les masculinités subalternes » et de « respecter les formes de dignité que revêtent ces formes de masculinité ». Cette alliance objective avec l’extrême droite masculiniste constitue une contradiction flagrante pour une militante se revendiquant de l’antiracisme progressiste.

Les débordements médiatiques et universitaires tolérés

Le parcours médiatique de Bouteldja interroge sur la responsabilité des institutions qui lui offrent une tribune. Invitée régulière de l’émission « Ce soir ou jamais » sur France 2, elle a bénéficié pendant des années d’une plateforme grand public pour diffuser ses thèses radicales. Cette complaisance médiatique atteint son paroxysme lorsqu’en 2023, l’université de Yale l’invite à donner une conférence dans sa série « Décoloniser l’Europe », malgré les protestations d’étudiants et de membres de la communauté universitaire qui dénonçaient ses positions antisémites et homophobes.

La polémique autour de sa participation à un débat sur la lutte contre l’antisémitisme lors de la Fête de l’Humanité en septembre 2024 constitue probablement le sommet de l’absurde. Organiser une conférence intitulée « Combattre l’antisémitisme : par-delà ses instrumentalisations sionistes et islamophobes » en invitant précisément celle qui incarne cet antisémitisme relève soit d’une incompétence crasse, soit d’une complaisance idéologique inadmissible. Le collectif Nous Vivrons s’est rendu sur place pour dénoncer cette « tribune de la honte », se heurtant à l’agressivité de militants antisionistes. Nous constatons avec inquiétude que ces institutions prestigieuses légitiment par leur accueil un discours qui devrait être fermement combattu.

Le racisme anti-blancs assumé et ses conséquences sociales

Dans son livre au titre explicite « Les Blancs, les Juifs et nous », Bouteldja développe une rhétorique ouvertement raciste contre les Blancs. Elle y définit le Blanc comme « celui qui soumet, pille, vole, viole, génocide », essentialisant ainsi toute une catégorie de population. Plus loin, elle confesse sans ambages : « Je hais la bonne conscience blanche, je la maudis ». Ces propos, qui seraient immédiatement qualifiés de racistes s’ils visaient n’importe quelle autre communauté, bénéficient d’une tolérance incompréhensible de la part de certains milieux intellectuels.

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Son obsession pour la « blanchité » la conduit à utiliser une imagerie biologique inquiétante. Elle décrit les Blancs comme dotés d’un « système immunitaire » constitué par leur humanisme et leur capacité à dire « je ». Ces analyses, qui recourent aux mêmes procédés déshumanisants que les discours racistes classiques, révèlent la profonde contradiction entre son antiracisme proclamé et ses propres positions discriminatoires. La militante qui prétend combattre le racisme perpétue en réalité les mêmes mécanismes de stigmatisation et d’essentialisation qu’elle dénonce, substituant simplement les victimes et les bourreaux.

Ce discours alimente directement la fragmentation sociale et le repli communautaire. En rejetant explicitement l’intégration, qu’elle considère comme une trahison, Bouteldja prône une société de communautés séparées et antagonistes. Cette vision conduit inexorablement à l’affaiblissement du lien social et à l’impossibilité de construire un destin commun.

Les soutiens politiques et la complaisance de la gauche radicale

Les relations entre le PIR et certaines formations de gauche radicale constituent l’un des aspects les plus préoccupants de cette affaire. L’épisode impliquant Danièle Obono, députée de La France insoumise, illustre parfaitement ces ambiguïtés dangereuses. En novembre 2017, sur Radio J, elle défend Bouteldja en la qualifiant de « camarade » dans la lutte antiraciste, affirmant la « respecter » en tant que « militante ». Interrogée sur la déclaration antisémite de mars 2015 concernant les Juifs, Obono répond, visiblement embarrassée : « Je ne sais pas » si ces propos sont racistes.

Face à la polémique grandissante, Jean-Luc Mélenchon a dû clarifier sa position dans une lettre adressée à Mario Stasi, président de la LICRA, le 6 novembre 2017. Il y confirme être « en totale opposition politique avec le PIR depuis son origine », qualifie la déclaration de Bouteldja sur les Juifs d' »antisémite avérée » et affirme ne pas croire que l’action de cette organisation « participe à la lutte contre le racisme ». Cette prise de distance nécessaire témoigne néanmoins de la persistance d’ambiguïtés au sein de La France insoumise, certains élus continuant de ménager leurs relations avec le PIR.

Parti/PersonnalitéPosition face au PIR et BouteldjaCitation et date
Jean-Luc Mélenchon (LFI)Opposition officielle mais tardive« Je suis en totale opposition politique avec le PIR depuis son origine » – Lettre à la LICRA, novembre 2017
Danièle Obono (LFI)Soutien assumé puis nuancé« Je considère Houria Bouteldja comme une camarade » – Radio J, novembre 2017
LICRAOpposition ferme« On ne peut pas être antisémite innocemment » – Décembre 2020
CRIFCondamnation sans appelQualification de « démon antisémite » et demande de retrait de son livre
Fête de l’HumanitéComplaisance problématiqueInvitation à débattre de la lutte contre l’antisémitisme – Septembre 2024

Cette complaisance d’une partie de la gauche radicale envers le discours du PIR constitue un danger majeur pour la cohésion républicaine. En cherchant à élargir leur base électorale dans certains quartiers populaires, des formations politiques acceptent de fermer les yeux sur des positions racistes et antisémites manifestes. Ce calcul électoraliste à court terme hypothèque gravement l’avenir du vivre-ensemble et discrédite la lutte antiraciste authentique. Nous ne pouvons accepter que la quête de voix électorales justifie de telles compromissions avec des valeurs fondamentales de notre République.

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