Philippe de Villiers et le Canard enchaîné : l’affaire « dormition » décryptée
Une simple querelle de mots peut-elle révéler les fractures profondes de notre époque ? L’affaire qui oppose Philippe de Villiers au Canard enchaîné autour du terme « dormition » illustre parfaitement les tensions actuelles entre érudition classique et culture journalistique contemporaine. Cette polémique, déclenchée en novembre 2024, dépasse largement le cadre d’une simple correction linguistique pour questionner notre rapport collectif à la langue française et au patrimoine culturel.
L’origine de la polémique : une recension assassine
Tout commence avec la parution de « Mémoricide » chez Fayard le 25 octobre 2024, nouvel ouvrage de Philippe de Villiers qui dresse un constat sans appel sur l’effacement de la mémoire française. L’ancien ministre y développe sa thèse d’une France victime d’une « ablation de sa mémoire », confrontée au « progressisme » et à l’oubli de ses traditions fondatrices.
Dans une recension particulièrement acerbe, Le Canard enchaîné publie un encart qui qualifie Philippe de Villiers de « graphomane » devant « s’éclairer à la bougie quand il écrit ». L’hebdomadaire satirique cible spécifiquement cette phrase : « Face au Wokistan et à l’Islamistan, comment réagit la France ? Elle est en dormition. » Les journalistes ajoutent un « (sic) » moqueur et concluent par un prétendu mot d’esprit : « Bonne lecturation. »
Cette attaque révèle une incompréhension fondamentale : les rédacteurs du Canard enchaîné traitent le terme « dormition » comme un barbarisme comparable à la célèbre « bravitude » de Ségolène Royal. Nous assistons là à un parfait exemple de ce que dénonce précisément l’auteur dans son livre : l’effacement de la culture classique au profit d’une ignorance assumée.
Le mot qui divise : définition et légitimité de « dormition »
L’analyse lexicographique révèle pourtant que le terme « dormition » possède une légitimité incontestable dans la langue française. Le dictionnaire de l’Académie française, référence ultime en matière linguistique, confirme son existence et son usage traditionnel. Cette notion, empruntée au vocabulaire religieux, désigne originellement l’endormissement paisible de la Vierge Marie avant son Assomption.
| Source | Définition | Usage |
|---|---|---|
| Dictionnaire de l’Académie française | Sommeil paisible, endormissement | Vocabulaire religieux et littéraire |
| Dictionnaire Littré | État de ce qui dort tranquillement | Sens figuré accepté |
| CNRTL | Sommeil profond et paisible | Extension métaphorique reconnue |
Philippe de Villiers utilise ce terme dans une métaphore politique parfaitement justifiée : la France serait plongée dans un sommeil profond face aux défis contemporains. Cette figure de style s’inscrit dans la tradition littéraire française qui autorise l’emploi de termes religieux dans un contexte séculier pour renforcer l’expressivité du propos.
La riposte de Philippe de Villiers
La réponse de l’ancien ministre ne se fait pas attendre. Lors de l’émission « Face à Philippe de Villiers » sur CNews le 8 novembre 2024, il dénonce avec vigueur cette « baisse du niveau intellectuel » des journalistes contemporains. Sa stratégie de défense s’articule autour de deux axes : d’une part, l’invitation faite aux téléspectateurs de vérifier eux-mêmes la définition du terme dans leurs dictionnaires, d’autre part, la dénonciation d’un système médiatique ignorant de ses propres lacunes culturelles.
Philippe de Villiers révèle que plusieurs hommes politiques lui confient prendre « souvent un dictionnaire » en lisant ses livres, ce qu’il considère comme « plutôt sympathique ». Cette anecdote souligne selon lui la différence entre une certaine élite politique qui assume ses lacunes et des journalistes qui les dissimulent derrière l’arrogance. L’auteur transforme ainsi l’attaque du Canard enchaîné en illustration parfaite de sa thèse sur le « mémoricide » français.
Soutiens et réactions dans les médias
L’affaire suscite rapidement des réactions de soutien dans les milieux intellectuels conservateurs. Gabrielle Cluzel, chroniqueuse à Famille Chrétienne, publie le 28 novembre 2024 un article cinglant intitulé « Dormition » qui retourne l’accusation d’ignorance contre le Canard enchaîné. Elle compare ironiquement cette leçon de français donnée à Philippe de Villiers à « apprendre la cuisine à Alain Ducasse ».
Les soutiens médiatiques se mobilisent rapidement autour de plusieurs arguments convergents :
- La démonstration de l’inculture journalistique par des experts linguistes
- La défense de la richesse lexicale française contre l’appauvrissement du vocabulaire
- La critique d’un corporatisme médiatique qui refuse de reconnaître ses erreurs
- L’illustration concrète des thèses développées dans « Mémoricide »
Cette mobilisation révèle l’existence d’un public cultivé, attaché à la précision linguistique et sensible aux questions de transmission culturelle. Nous observons ici un phénomène de polarisation où l’erreur du Canard enchaîné cristallise des frustrations plus larges concernant le niveau culturel des élites médiatiques.
Impact sur les ventes et réception publique
Paradoxalement, cette polémique génère un véritable effet Streisand qui propulse « Mémoricide » au sommet des ventes. Dès la semaine du 28 octobre au 3 novembre 2024, l’ouvrage atteint la première place du classement des meilleures ventes avec 27 212 exemplaires écoulés. Cette performance commerciale exceptionnelle démontre que la controverse, loin de nuire à l’auteur, renforce son audience.
Les chiffres confirment ce succès retentissant : au 12 janvier 2025, soit douze semaines après sa parution, « Mémoricide » cumule plus de 181 424 ventes tous circuits confondus. La répartition révèle une pénétration remarquable : 31% en librairies traditionnelles, 25% en grandes surfaces alimentaires et 44% en grandes surfaces spécialisées. Ces données témoignent d’un lectorat diversifié, dépassant largement les cercles intellectuels habituels de Philippe de Villiers.
Cette réussite commerciale illustre parfaitement comment une polémique linguistique peut révéler des attentes profondes du public français en matière de défense culturelle. Le livre maintient sa deuxième place dans le classement des essais après douze semaines, confirmant un intérêt durable qui dépasse l’effet de mode.
Enjeux linguistiques et culturels
L’affaire « dormition » révèle des problématiques bien plus profondes que ne le suggère sa dimension anecdotique. Elle s’inscrit dans un contexte de dégradation généralisée du niveau de français, particulièrement préoccupante dans les milieux journalistiques. Une récente étude de l’OCDE confirme que 28% des Français révèlent un niveau de compréhension écrite « faible », contre seulement 22% en 2012.
Les écoles de journalisme elles-mêmes reconnaissent cette réalité alarmante. Charlotte Dorn, directrice adjointe du CUEJ de Strasbourg, observe que « les lettres de motivation sans faute d’orthographe sont de plus en plus rares » lors des concours d’entrée. Cette baisse s’explique par des facteurs structurels : diminution de la lecture, prédominance des formats courts sur les réseaux sociaux, culture du « zapping informationnel ».
Nous assistons ainsi à un paradoxe révélateur : des journalistes, dont la langue constitue l’outil de travail fondamental, manifestent une méconnaissance flagrante du patrimoine lexical français. Cette situation valide tragiquement les analyses de Philippe de Villiers sur l’effacement de la mémoire culturelle nationale. L’affaire « dormition » devient donc le symptôme d’une crise plus vaste touchant la transmission des savoirs et la préservation de l’excellence linguistique française.











































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